En France, l’usage du titre de psychologue est réglementé par la loi 85-772 du 25 Juillet 1985. C’est un titre unique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de spécialité au niveau du titre de psychologue. Mais comment est née cette spécificité française de l’unité du titre ? Elle tient principalement à un fondateur qui a marqué l’histoire de la psychologie alors qu’il avait une triple formation. Daniel Lagache était en effet philosophe, médecin et psychanalyste. C’est à la croisée de ces disciplines qu’il a fondé la première licence de Psychologie en 1947. Dans son ouvrage intitulé L’unité de la psychologie[1], issu de sa leçon inaugurale à la chaire de psychologie générale de l’université de Lettres de la Sorbonne, il pose d’emblée cette question : « Peut-on parler de psychologie ou faut-il parler de sciences psychologiques ? »[2].
Le modèle français de la psychologie
Revenons donc aux origines du caractère original du modèle français de la psychologie que bâtit Daniel Lagache. S’il a d’abord étudié la philosophie (agrégée en 1928 avec Aron, Canguilhem et Sartre), il a ensuite été médecin des hôpitaux psychiatriques en 1935 et a développé un grand intérêt pour la psychopathologie clinique française (Ribot, Janet, Wallon), il fut aussi psychanalyste, titulaire de la Société Psychanalytique de Paris en 1937 (en analyse avec Loewenstein, comme Lacan). Ainsi dès 1948, il écrit : « La psychologie n’est plus une discipline spéculative ; science empirique fondée sur l’observation et sur l’expérimentation, elle est non seulement objet de recherche et d’enseignement mais science appliquée »[3].
C’est en extrayant la psychologie de la tradition philosophique et du courant médical, et notamment de la physiologie, qu’il donne une place dans les sciences humaines à la psychologie. Il lutte pour que la psychologie soit indépendante de la philosophie et de la médecine. Même si la psychopathologie est une composante importante dans la formation, la psychologie ne sera pas enseignée en faculté de médecine.
La psychologie clinique
En s’appuyant sur la définition de Freud de la psychologie clinique[4], Lagache va apporter des concepts psychanalytiques au cursus universitaire de psychologie clinique qu’il précise ainsi : « L’objet de la psychologie clinique dépasse celui de la pathologie mentale : ce n’est pas l’homme psychiquement malade, c’est l’homme en conflit »[5]. Un dialogue Lacan-Lagache occupera les années 60. Lagache publie « Psychanalyse et structure de la personnalité »[6], article que Lacan va commenter pas à pas. Si Lacan indique qu’il professe la même chose que lui[7], il le critique sur la notion de structure du sujet. Lagache la définit comme une forme alors que Lacan se réfère à la linguistique et plus précisément à l’articulation signifiante[8]. Une autre divergence est épinglée par Lacan : « Elle est dans la fonction même qu’il donne à l’intersubjectivité »[9], tout comme la théorie du Moi fort et autonome. Lacan ajoutera aussi : « À notre sens, sa méthode n’est pas assez radicale »[10]. La suite est la radiation de Lacan de la Société française de psychanalyse en 1963 ; il créa alors l’École freudienne de Paris, devenue l’École de la Cause freudienne en 1981.
La prise en compte de l’inconscient
Si pour les Psychologues freudiens, Daniel Lagache a fait entrer à l’université les apports théoriques de la psychanalyse, la psychologie clinique ne se confond pas avec la psychanalyse. Dans son retour à Freud, Lacan indique à Lagache qu’« il nous faut penser le sujet comme le sujet où ça peut parler, sans qu’il en sache rien »[11]. Au temps de l’évaluation, qui peu à peu pénètre dans chaque institution, les Psychologues freudiens peuvent s’appuyer sur cette méthode plus radicale, celle de la prise en compte de l’inconscient, définie comme le discours de l’Autre[12], celle qui extrait les signifiants du sujet, en fait, celle qui fait « résonner [la] promotion du Verbe »[13]. Une méthode donc au plus proche de « la racine du langage »[14].
[1] Lagache D., L’unité de la psychologie, PUF, 1949.
[2] Ibid., p. 5.
[3] Lagache D. « De l’aptitude au métier de psychologue », Bulletin du Groupe d’études de psychologie de l’Université de Paris, n°10, 1948. p. 6.
[4] Cf lettre écrite par Freud à Fliess le 30 janvier1899 : « Maintenant que la connexion avec la psychologie telle qu’elle se présentait dans les Études sort du chaos, j’aperçois les relations avec le conflit, avec la vie, avec tout ce que j’aimerais appeler psychologie clinique. »
[5] Lagache D., Mélanges, n° 4, Œuvres complètes, vol 1, PUF, 1977, p. 413-425.
[6] Lagache D., « La psychanalyse et la structure de la personnalité ». (1961) », Œuvres Complète, vol 4 . Paris, PUF, 1982, p. 191-237.
[7] Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache « Psychanalyse et structure de la personnalité « », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 652.
[8] Ibid., p. 649.
[9] Ibid., p. 665.
[10] Ibid., p. 652.
[11] Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache… », op.cit., p. 674.
[12] Ibid., p. 652.
[13] Ibid., p. 653.
[14] Lacan J, « L’ombilic du rêve est un trou », La Cause du désir, n° 102, juin 2019, p. 36.
Valérie Bussières